Le rituel de l'encens

Rencontre avec Michel Pryet, fondateur d'Encens du monde

L'encens est un accessoire de bien-être utilisé par tous. Mais connaissons-nous vraiment les secrets de ce petit rituel qui consiste à faire brûler un bâton dans notre salon ? Réponses avec Michel Pryet, le fondateur d'Encens du monde.

Temps de lecture : 4 min
Le rituel de l'encens

D'où nous vient le rituel qui consiste à faire brûler de l'encens ?
L'encens est le premier parfum de l'humanité. Il est lié à la découverte du feu et donc des odeurs aussi différentes que les bois, les plantes, les aliments posés sur les braises. Au Japon par exemple, l'encens était lié au culte des Kamis (les dieux de la nature et de l'environnement), qui persiste jusque dans le Japon d'aujourd'hui. Au VIe siècle, l'encens a trouvé une expression nouvelle avec l'arrivée du Bouddhisme.

Le Japon est-il le pays de l'encens ?
L'encens est un média et un moyen d'expression utilisé par de nombreux peuples. La culture de l'encens est liée à l'environnement naturel, aux coutumes, à la spiritualité, à un certain rapport aux odeurs, à la santé et au bien-être. On ne peut parler de pays de l'encens, mais décrire l'expression particulièrement riche de sens et de signification au quotidien qu'a pris l'encens au Japon.

Quelle place tient l'encens dans la culture japonaise ?
L'encens a trouvé au Japon une "expression miroir", d'une rare intensité. Dans sa première forme post-bouddhiste, c'est-à-dire celle de l'utilisation du bois d'Agar et de boulettes d'encens mélangeant de la pâte de miel, du bois et des aromates, l'encens a tout de suite trouvé une expression originale. Il faut lire, pour sentir la culture du raffinement, des lettres, de l'esthétisme qui régnait à la cour impériale à l'époque Heian (Xe siècle), Le dit de Genji, dont la narratrice est une courtisane... (Je conseille la traduction de René Sieffert.)

A cette époque, les courtisanes se parfumaient les cheveux avec de la fumée d'encens. Pour parfumer ses habits, on portait dans ses poches des morceaux d'encens ou alors on plaçait ses vêtements au-dessus de chaufferettes pour les "encenser". L'encens permettait aussi de véhiculer des caractéristiques. C'est comme cela qu'un grand courtisan pouvait se concocter son propre mélange d'aromates... Cette utilisation de l'encens est pratique.

Qu'en était-il de l'utilisation rituelle ?
Il y a deux écoles de cérémonie de l'encens : celle des lettrés, des esthètes qui pratiquent la cérémonie de l'encens dans la continuité historique de la cour impériale (école Oie Ryu) et celle plus dépouillée des samouraïs et des guerriers (l'école Shinoryu). Dans l'univers des guerriers qui ont secondé puis évincé un temps les empereurs japonais, l'utilisation de l'encens prend un tour très différent. On revient à une vision beaucoup plus sobre de l'existence. C'est l'époque du Zen.

C'est dans cette culture que s'est développée la cérémonie du thé, ou "Sado", codifiée par Sanno Rikkyu. La cérémonie appelait à la méditation et la maîtrise des sens et des gestes. Des encens aux fragrances de bois de santal et de bois d'Agar sont parfois utilisés lors de cette cérémonie. C'est dans ce contexte cultivé et fastueux qu'est née l'école Oie Ryu, celle de la cérémonie de l'encens que l'on appelle le Kodoh des samouraïs.

Encens

Écouter ce que les odeurs provoquent en soi, c'est renouer avec l'intégrité de sa nature humaine.

En quoi consistent ces tournois d'odeur ?
Lors de la cérémonie de l'encens, le maître de cérémonie fait circuler de l'encens parmi l'assemblée selon un certain rituel. À chacun de reconnaître l'encens qui est présenté et de l'écrire sur un papier de calligraphie (Est-il identique au premier ou à un autre déjà présenté ? Quels sont-ils ?) et de composer un poème. Bien entendu, chaque geste est codifié. L'attitude doit être faite de discipline et de méditation. Le sens général étant celui de l'écoute intérieure. Il faut être disposé à "écouter l'encens". Le Koh-do n'est pas une discipline ésotérique et guindée, mais un art de vivre ainsi qu'une pratique spirituelle.

Faire brûler de l'encens, est-ce un moyen de lutter contre l'anosmie, cette perte graduelle de nos facultés olfactives ?
Travailler le sens olfactif, c'est écouter ce que les odeurs provoquent en soi, et donc renouer avec l'intégrité de sa nature humaine. Mais c'est aussi trouver dans les odeurs un complément ou un stimulant à sa personnalité. On peut parler de la vague puissante et mystique de l'Oliban, de la fraîcheur juvénile du Jasmin, de la note acidulée et romantique du patchouli, de la douceur affectueuse et stimulante de la cannelle ou de la fabuleuse spirale de calme et de paix du bois d'Agar…

Chaque fragrance entraîne une réaction physiologique spécifique selon les individus, même si en général des effets similaires sont ressentis : effet relaxant, tonifiant, etc. C'est en fonction de ce qu'ils évoquent que l'on a pu nommer les encens : "Neige immaculée", "Forêt de fleurs" ou "Vague dorée". Enfin et surtout, l'intellect intervient puissamment pour interpréter, analyser et goûter la senteur. Suivant notre histoire personnelle ou nos références culturelles, nous percevons parfois la même senteur de façons très différentes. L'encens a donc une dimension physique, psychique et spirituelle.

À chaque contrée, son encens ?
Façonnés par des générations d'artisans, les encens sont l'expression des peuples, de leurs cultures et de leurs modes de vie. Les encens indiens sont généreux et diversifiés, les encens japonais sont subtils et emplis de force intérieure, les encens tibétains sont rustiques et boisés, les encens en résines du monde entier ont une puissance aromatique extraordinaire... L'usage des encens constitue déjà en soi une expression culturelle et spirituelle. Les peuples d'Afrique du Nord incluent les encens dans de nombreux gestes quotidiens : pour honorer un invité, porter chance ou purifier un lieu ou une personne… Les Balinais ou les Indiens en font un élément indispensable qui délimite les moments de la journée que l'on consacre à la spiritualité, un véhicule pour renouer avec le Divin.

Certains encens japonais, "les encens messagers", se consument en laissant apparaître en filigrane un message écrit, un mantra. Messagers de l'aspiration des hommes à progresser sur la voie de la libération, supports à la méditation, ces encens sont utilisés rituellement pour accompagner la récitation des sutras.

Propos recueillis par Séverine Corson en 2001

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