Porte ouverte chez... Jacques Prévert, à Paris

Parce qu'il n'affectionnait pas le concept de propriété, Jacques Prévert a longtemps mené une vie de nomade, en France comme à l'étranger, de chambres d'hôtels en appartements meublés. Pourtant, après quelques années passées à Saint-Paul-de-Vence, sur la Côte d'Azur, l'écrivain décide de poser ses valises à Paris, précisément au 6bis de la Cité Véron, dans le 18e arrondissement. C'est là, juste derrière le Moulin Rouge, que se trouve encore son appartement. Mais peut-être plus pour très longtemps.

Le voisin de Boris Vian

C'est à l'étage d'un petit immeuble bien caché dans une ruelle que se trouve l'entrée de l'appartement de Jacques Prévert, juste en face de celui de Boris Vian, autre figure illustre de la poésie et de la musique. Les deux artistes partagent une grande terrasse, nichée derrière les fameuses ailes du Moulin Rouge.



Cette terrasse a accueilli le fameux Collège de Pataphysique, une « société de recherches savantes et inutiles » créée en 1948. Boris Vian, Jacques Prévert et Ergé, son chien briard, tous membres du Corps des Satrapes, ont ainsi formé la "Terrasse des Trois Satrapes". Alors que celle-ci était couverte de gravier et agrémentée de baignoires anciennes faisant office de jardinières, elle a récemment été rénovée par le bailleur (propriétaire du Moulin Rouge) à l'aide d'un carrelage qui lui a ôté tout son charme.



Derrière la discrète porte d'entrée se dévoile un appartement plutôt étonnant, sans le moindre luxe, mais à l'ambiance typique des maisons provençales. En effet, après son séjour à Saint-Paul-de-Vence, Prévert a voulu conserver cette atmosphère chaleureuse des maisons du sud de la France.

Une ambiance provençale à Paris

Pour concevoir ce logement, Prévert prend conseil auprès du décorateur de cinéma Alexandre Trauner. Les deux hommes se connaissent bien : Trauner a travaillé sur les décors de plusieurs films de Marcel Carné écrits par Prévert : "Drôle de drame", "Le Quai des brumes", "Les Enfants du paradis", " Les Visiteurs du soir"... Prévert a même aidé Trauner à se cacher durant la Seconde Guerre mondiale.

Mais c'est l'architecte Jacques Couëlle, aidé de son fils Savin, qui procède aux travaux : murs blanchis à la chaux, niches creusées un peu partout, angles courbes, tommettes provençales… Un parfum de Provence en plein Montmartre.

"Les ouvriers, je les avais trouvés dans le bistrot d’en dessous. Le plâtre des murs a été consolidé par le crin récupéré sous les fauteuils du Moulin Rouge, alors abandonné." (Savin Couëlle)

La salle à manger familiale

C'est donc en 1955 que le poète investit les lieux avec sa femme Janine et leur fille Michèle, dite Minette. La salle à manger traduit cette volonté de se retrouver en famille, dans une grande simplicité. La table en bois trône sur un parquet massif, devant les grandes fenêtres donnant sur la terrasse.



Cet espace de vie plutôt épuré offre une banquette creusée dans le mur, quelques meubles en bois et une petite cheminée.

La chambre de Michèle

La fille de Jacques et Janine avait 9 ans lorsque le couple s'est installé à Paris. La chambre de Michèle est restée intacte, avec cet étonnant lit, vestige d'un décor du film "Notre-Dame de Paris" de Jean Delannoy, écrit par Jacques Prévert.



De nombreux jouets et peluches sont encore présents, tout comme les livres en grande quantité achetés par Prévert à sa fille. Là encore, les niches à même le mur ont été pensées pour accueillir tous ces objets.



Il règne dans la pièce un parfum teinté de nostalgie, entretenu par de nombreux souvenirs d'une époque révolue : photographies, tableaux, bibelots…

Le bureau de Jacques Prévert

Mais la pièce la plus émouvante pour le visiteur est certainement le bureau de Prévert. Avec sa grande table en bois, son fauteuil, sa banquette et ses étagères, il s'ouvre lui aussi sur la terrasse. Dès le matin, la pièce est baignée de lumière, les rayons du soleil éclairant les nombreux objets hétéroclites laissés ici et là.



Jacques Prévert y passait beaucoup de temps : il y écrivait, recevait ses amis, réalisait ses célèbres collages… C'est sur ce grand bureau qu'il avait à cœur d'organiser ses journées à l'aide d'éphémérides faits-maison, où il mêlait planning du jour et dessins au stylo-feutre (accessoire moderne, à l'époque).



On peut encore apercevoir, près du téléphone à cadran, diverses notes punaisées au mur : le numéro du réparateur de télévision côtoie les coordonnées d'un ami, près d'une photo de Brigitte Bardot.



Sur la table et les étagères, une petite collection d'objets utilisés par Jacques Prévert et qui rappellent sa présence avec émotion : ciseaux, poste de radio, disques vinyles, livres, loupe, réveil… Mais aussi un paquet de cigarettes (il en fumait trois par jour).



La pièce semble être restée dans son état d'origine depuis le départ de son célèbre locataire en 1975, pour Omonville-la-Petite, dans le Cotentin. Après la mort de Jacques Prévert en 1977, le bail est resté dans la famille. La petite-fille du poète, Eugénie Bachelot-Prévert, gère l'héritage familial à travers une société dont le bureau se trouve au même endroit, dans l'ancienne chambre de Prévert.

Aujourd'hui, le lieu est menacé par le Moulin Rouge : le célèbre cabaret souhaite récupérer tout l'étage pour mener des travaux d'extension et a signifié la fin du bail pour mars 2026. En attendant, une pétition a été lancée pour sauver cet appartement, ainsi que celui de Boris Vian.

Pour visiter l'appartement de Jacques Prévert :
6 bis Cité Véron – 75018 Paris
Visites sur réservation en suivant ce lien.