La gonflante épidémie de la pièce à vivre

Vous avez remarqué comme on ne parle plus de salon mais de pièce à vivre ? Un abus de langage largement employé dans la déco et l'immobilier, au risque de commencer sérieusement à nous contrarier...

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La gonflante épidémie de la pièce à vivre

Pas une émission de déco, pas un reportage sur la maison, pas une seule visite avec un agent immobilier sans que l'on entende parler de "pièce à vivre". Peut-être une traduction hâtive et snob du "living-room". Exit le salon, place désormais à une expression chic et tendance, aux accents presque new age. Oui, dans la pièce principale de votre logement, vous allez commencer à vivre.

L'évolution du salon

Pourtant, il n'y a encore pas longtemps, on recevait simplement ses amis dans son salon. Et pour tout vous dire, ça ne date pas d'hier. Au 17ème siècle déjà, les aristocrates et autres intellectuels tenaient des discussions passionnées avec des gens de bonne compagnie lors de ce qu'on appelait déjà des salons, en référence à la pièce qui les recevait. Parfois même, ceux-ci avaient lieu... dans une chambre ! On retrouve l'expression sur les forums et autres tchats.

Puis, par métonymie, le terme se mit à désigner, non plus le contenant, mais le contenu (comme le tajine). Ainsi, il était de bon ton, le samedi après-midi, d'aller acheter un beau salon, comprenez un ensemble canapé en cuir, fauteuils assortis et petite table basse pour poser son Télé 7 Jours.

Pour autant, dans tous les logements honnêtes, le salon reste un lieu parmi d'autres, une pièce en plus à déclarer à son assureur : on y regarde la télé, on bouquine les pieds sur le canapé, on prend l'apéro en famille et éventuellement on s'octroie une petite sieste le dimanche. Et quand on y prend ses aises, on lui trouve un nom bien plus adapté : la salle de séjour.

L'ouverture vers les autres pièces

Mais avec les années, la division classique d'un logement a littéralement explosé. Je passerai sur la mode des lofts qui ne concerne que quelques chanceux bobos urbains et qui a décloisonné les appartements. Partout ailleurs, on s'est également mis à casser des murs. La cuisine est devenue "américaine", avec son comptoir accueillant, l'entrée s'est ouverte sur le salon (adieu vestibule) et la salle à manger a quasiment disparu.

Du coup, lorsque vous entrez dans les maisons modernes, vous mettez le pied immédiatement dans une vaste salle, où l'on sent bien que la famille va pouvoir (devoir ?) passer du temps ensemble, pour le meilleur et pour le pire. La pièce à vivre est née. Et si vous vivez seul dans un 35 m², pas d'affolement : votre agence immobilière a prévu pour vous aussi, à côté du "coin kitchenette", une grande pièce à vivre : vous pourrez à la fois y manger, y dormir et regarder la télé (au cas où vous seriez tenté d'aller mettre un lit sur le balcon). Et votre studio devient d'un coup hyper-tendance.

C'est sûr, l'expression est victime de la mode. Un peu comme la couleur taupe, qui s'est mise à désigner tout et n'importe quoi. Et si en plus, vous avez une pièce à vivre couleur taupe, alors là, c'est carrément la classe.

Vivre pour vivre

Alors, d'accord, efforçons-nous de "vivre" dans cette nouvelle pièce multifonctions. Faut-il en déduire que les autres pièces sont conçues pour y mourir ? Et pourtant, les nouvelles salles de bain, vastes et super-équipées, avec spa et douche à jet hydromassant, ne sont-elles pas présentées comme de "nouvelles pièces à vivre" ? Et la chambre, devenue "suite" pour ceux qui sont parents (les célibataires peuvent dormir dans un placard), avec dressing, canapé et coiffeuse, n'est-elle pas une pièce de vie par excellence ?

À part peut-être le garage (où certains bricoleurs passent pourtant leurs journées) et les toilettes (bien qu'équipées en magazines), toutes les pièces d'un logement habité méritent un peu plus de respect. Car après tout, que faites-vous quand vous sortez de votre "pièce à vivre" ? Vous arrêtez-vous de vivre, justement ? Cessez-vous de respirer et d'aimer la vie, dans le bureau qui accueille les travailleurs à domicile, dans la véranda ouverte sur le jardin, dans la salle de jeux où vos chérubins font régner un joyeux désordre ?

Non, la vie est partout, dans le salon comme ailleurs. Alors, par pitié, amis décorateurs, agents immobiliers, architectes talentueux, cessez de nous vendre du rêve à prix discount et proposez-nous plutôt des maisons à vivre.

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