Comment la crise sanitaire agit sur notre moral

Face à la crise due à l'épidémie de coronavirus, et au confinement qui en découle, nous sommes tous moralement affectés. La faute à une communication désordonnée et à une confusion ambiante. Tous, sauf peut-être les anxieux, qui y voient là l'occasion de se concentrer sur l'instant présent.

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Comment la crise sanitaire agit sur notre moral

Hier, les masques d'hygiène ne servaient à rien, aujourd'hui nous sommes encouragés (dixit le Professeur Salomon) à en porter lors de nos déplacements. Hier, il n'était pas question d'alléger les Français avec une attestation sur smartphone, dès maintenant c'est possible !

C'est sûr qu'il a dû falloir aux hackers de la Place B(e)auveau - la bien nommée - prendre le temps nécessaire de bien réfléchir à comment optimiser le contrôle et la récolte de nos données personnelles, pour une meilleure efficacité. Mais n'avons-nous pas tout notre temps pour imprimer ou faire notre page d'écriture journalière en recopiant ?

Un problème de communication

À chaque jour son lot d'ordres et de contre-ordres. Et c'est malheureusement ainsi depuis le départ de la pandémie, chacun l'a constaté. Gregory Bateson, anthropologue, à qui nous devons la théorie du double lien, nous dit que "la communication est ce qui rend possibles les relations humaines, autrement dit quelque chose comme leur pilier". Le nôtre de pilier, et pas seulement, semble davantage ressembler à une tour de Pise posée sur des sables mouvants qu'à une solide colonne vertébrale.

Un "double lien", nous dit le chercheur, est un dilemme communicatif résultant de la contradiction entre deux ou plusieurs messages. Cette situation communicative cause des souffrances et peut entraîner des troubles psychologiques. Ses travaux d'observation de la relation mère-enfant en hôpital psychiatrique, et sa découverte du système de communication paradoxale dans cette relation, l'a amené à considérer qu'elle pouvait être à l'origine de la schizophrénie.

Dans la situation inédite que nous vivons, cette communication paradoxale nous amène sans cesse, consciemment ou non, à se poser cette question : "Dois-je croire ce que j'entends, dois-je me fier à ce que je ressens ?" Ce conflit interne, accentué par la répétition des messages contradictoires, finit par nous faire douter de nos ressentis. Cette sensation se révèle délétère pour notre santé psychique. Elle va nous pousser à vérifier auprès des autres (nos amis, nos proches) s'ils partagent le même ressenti, seul moyen de vérifier que nous ne sommes pas fous.

Quand le doute et la confusion s'installent

Il me semble que c'est ce mouvement (entre autres), qui peut expliquer la frénésie d'échanges auxquels nous avons assisté dans les premiers jours du confinement, et qui aujourd'hui se tasse : presque toutes les personnes que j'ai entendues en consultation ou dans mon entourage disent la même chose : alors que le temps s'ouvre devant soi, on a envie de ne rien faire, sauf appeler des amis et rechercher de l'information, notamment sur les réseaux sociaux.

Il s'agit d'un des effets de l'état de sidération dans lequel cette crise du Covid nous a plongés. Cette crise semble être un "trauma" collectif au sens clinique du terme : quelque chose qui vient faire effraction dans notre esprit, de façon si violente, si soudaine et si inimaginable, qu'on ne peut pas se le représenter. Dès lors, il est aisé de comprendre un tel malaise : cette communication peu claire et paradoxale, sur fond de sidération, peut générer un sentiment de grande confusion. C'est la double peine qui, de mon point de vue, a majoré nos angoisses.

Nous avons besoin aujourd'hui, plus que jamais, pour nous apaiser et nous permettre d'élaborer, que cette communication soit claire. Autrement dit, pour reprendre les propos de Michel Onfray citant Nietzsche : "un oui, un non, une ligne droite, un but".

solitude

Le paradoxe des anxieux

Contre toute attente, dans ce contexte difficile, les anxieux chroniques ou pathologiques, pour beaucoup, semblent aller mieux ! Le monde à l'envers ? Peut-être, mais à bien considérer les choses, une certaine logique semble se dégager : l'anxiété est une émotion pénible qu'on pourrait traduire par une anticipation plus ou moins consciente d'un danger ou d'un problème à venir, avant même que les problèmes ne surviennent, ou avant même que les personnes anxieuses aient repéré précisément ce qu'elles craignent. Désignée parfois comme "une peur sans objet", c'est précisément l'anticipation négative du futur qui va générer la survenance de ces troubles anxieux.

Aujourd'hui que se passe-t-il ? Les menaces contextuelles pesant sur chacun d'entre nous ne sont pas virtuelles. Elles sont bien réelles. Il semble alors que cette réalité soit plus supportable que celle qu'on aurait pu anticiper, dans la mesure où elle est déjà là. Elle permet donc de se concentrer sur les moyens pour lutter ou pour faire face, ce qui semble nettement moins toxique qu'être dans l'angoisse d'un danger potentiel. Par ailleurs, du fait que nous sommes plongés dans une incertitude absolue, c'est une respiration pour l'esprit anticipatif des individus anxieux.

Il est utile de rappeler ce que nous disait Lao Tseu : "Si vous êtes dépressif, vous vivez dans le passé, si vous êtes anxieux, vous vivez dans l'avenir, si vous êtes en paix, vous vivez dans le présent". On découvre aujourd'hui les bienfaits de se centrer sur le moment présent. C'est vieux comme le monde et nous savons cela depuis longtemps. Mais nos modes de vie nous ont fait perdre de vue cette réalité qui fait que nous passons 50 % de notre temps à ignorer les 50 % qui restent.

Par

Psychothérapeute, praticien en hypnose
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